Anaël ~ You're just a microscopic cog in his catastrophic plan ~

                         " Ils ont prit mon temps, mon énergie et m'ont privé des faveurs d'Asmar. Ils ont obsédés ma famille entière et ils l'ont attirée loin de là où est sa place. Aujourd'hui, ils sont aussi responsables de ma solitude et ils n'ont jamais proposé la moindre compensation pour ça. Alors je t'en prie, Lahhel, ne me demande pas de les aimer ni même de les considérer autrement que des parasites.  Ne me dis pas qu'en absence de conflits, nous sommes leurs alliés. La botte n'a pas besoin de faire alliance avec la fourmi. La botte ne demande pas à la fourmi de la prier ni de lui sacrifier quelque offrande ridicule. Elle lui demande de ne pas s'opposer à son passage.


                       Ce n'est pourtant pas faute d'avoir essayé de les guider. J'étais comme toi avant, Lahhel. Plein d'enthousiasme et d'espoir. Ils étaient pourtant capables, ils en son toujours capables d'ailleurs, sur le plan théorique, de se suffire à eux-mêmes. Tu n'existais pas encore lorsque je descendais les voir pour répondre aux prières qu'ils adressaient dans le vide, en désespérant d'être entendus. J'usais et abusais de mes propres pouvoirs dans l'unique but de leur venir en aide. Asmar m'a châtié à plusieurs reprises pour cela. Il répétait que notre rôle était de les protéger dans l'anonymat le plus total, que nous n'en serions que plus forts ainsi et que notre présence à leurs côtés ne ferait qu'influencer inutilement et injustement leur destin. Notre mission n'était pas telle. Pourtant, il m'avait créer pour assurer la paix entre ces petites créatures insignifiantes, turbulentes et agressives. Cela me semblait impossible, à une telle distance d'eux. Lui, il voyait cela comme un excès de zèle. Il n'appréciait pas cela.


                       La plus infime lueur d'espoir  parvenait à me convaincre de continuer. Ils savent se relever de tout. C'est un fait que je ne nierai pas. C'est autant leur plus grande force que leur plus grande faiblesse. A l'image du jonc qui se plie sans jamais se rompre, ils n'abandonneront jamais l'espoir tant que la vie subsistera. Mais cela leur fera systématiquement oublier la tornade qui les a mit à terre, et ils oublieront de se méfier du vent qui se lève. Crois à ce que je te dis Lahhel. En plusieurs milliers d'années, ils ont répété les mêmes conflits pour les mêmes raisons, et le seul facteur qui ait un jour fait la moindre différence permettant de distinguer une guerre d'une autre, c'est le choix de leur arme. C'est cet attrait pour l'autodestruction qui leur ai jamais permis d'évoluer. Enfin, c'est un bien grand mot.
                       Leurs ambitions dévastatrices leur ont permis de mettre au point des armes de plus en plus monstrueuses, et seule la guerre les a jamais motivé à améliorer ce qu'ils désignent par civilisation. Les potions les plus mortelles sont nées ainsi, au même titre que la création de nombreux sorts. Tu gaspilles tes forces et tes talents en te mêlant à eux… mais ce n'est pas tellement pour ça que je te demande de rentrer. Tu te mets inutilement en danger, en les côtoyant d'aussi prêt, et je ne tolérerai jamais qu'ils ne t'infliges la moindre égratignure.


                       Pour te donner une idée, je me suis un jour rendu dans le rêve d'un sorcier, dont la pensée et l'intelligence aurait dû être une source d'inspiration pour toute leur race. Un alchimiste devenu célèbre chez les sorciers, un dénommé Nicolas Flammel. J'ai, une nuit, influencé son rêve pour qu'au réveil, l'expérience sur laquelle il s'acharnait depuis des années aboutisse enfin. Il était un esprit brillant, et même si là n'était pas mon rôle, je voulais récompenser d'une manière ou d'une autre sa bonne volonté et son désir d'illuminer l'humanité de sa découverte. Sa pierre philosophale a été une avancée fantastique pour tous, la notion de vie éternelle aurait dû être un nouvel espoir universel. Elle aurait dû être une nouvelle voie, une route pour les détourner de leurs pulsions habituelles. Au lieu de cela, elle n'a fait qu'attiser les convoitises et favoriser le retour du dernier tyran en date, responsable de la libération de Seytan.


                       Cette erreur-là m'a fait comprendre que quoi qu'on fasse avec eux, qu'on les aide ou qu'on les abandonne à leur sort minable, cela ne change rien. Leurs bas instincts reviendront et domineront toujours. Tu sais, je pense que si Asmar nous a fait tel que nous sommes – immortels en théorie – c'est parce qu'il savait que notre combat était perdu d'avance. Il devait se douter que convaincre plus de quatre individus à accomplir cette basse besogne serait impossible. Toi, tu es jeune, tu es passionné mais tu n'en dépérira que davantage quand tu feras le même constat que moi, dans plusieurs centaines d'années.
Toute cette race, dotée de pouvoirs magiques ou non, marche sur un charnier, dans lequel elle s'enfonce constamment. Et lorsque la guerre n'est pas dans leur moyen, leur arme devient économique, religieuse ou que sais-je.


                       Crois-moi, je t'en prie, lorsque je t'affirme que j'ai amené la pluie sur leurs terres lorsque la famine grondait. Que j'ai absorbé dans mes veines le mal qui les rongeait lorsque la Peste les décimait. Que j'ai tenu à l'écart autant de démon qu'il m'ait été donné de croiser. Ils n'ont rien retenus de tout cela, non. Tout cela dans le but de maintenir la paix entre ces monstres d'égoïsme, pour qui chaque prétexte est valable lorsqu'il s'agit de tuer, de piller, de violer et de mutiler son congénère. De ce côté là, leur imagination n'a rien à envier aux démons.


                       C'était une démarche qui en valait la peine, j'en étais persuadé. Au cours des siècles, les générations s'enchaînaient en une boucle qui m'avait embarqué dans son étrange cadence.  A un moment, mon espoir est allé en grandissant. Il y a quelques siècles, le temps les changeait. Les générations et leur manière de penser se transformait. Ce que je réalise seulement aujourd'hui, c'est que cette évolution n'était que superficielle et ne faisait que répondre à un besoin de bien-pensance. Tu refuses de l'admettre Lahhel, je le sais. Tu te laisse avoir par cette illusion à laquelle ils croient aussi, alors qu'ils en sont les architectes. Mais tous, sans exception, finiront par abandonner ces artifices accordés par la civilisation qu'ils se sont eux-mêmes inventé, pour répondre à des pulsions primaires. Tu ne t'es jamais mêlé à eux en temps de guerre, de famine ou d'épidémie. La Famille, la Paix, l'Altruisme… tout ça restera derrière eux lorsque de grandes crises surviendront. Ils sont faibles et sont aussi ridicules que des animaux sauvages dressés pour donner la patte en échange d'une sucrerie.


                       J 'ai pris des risques pour eux. J'ai failli mourir, plus souvent qu'à mon tour, en m'efforçant de les protéger des démons et d'eux-mêmes. Asmar n'a jamais eut la moindre pitié à mon égard, et a même fini par me bannir temporairement du Royaume des Anges. Je les ai mis en garde lorsque le Dragon Noir est revenu. Pourtant, cela ne les a pas empêchés d'insulter toute notre race lorsque j'étais faible ou qu'ils ne nous estimaient pas à la hauteur. Ils sont ingrats à un point que tu n'imagines pas.


                       Je ne leur demandais pourtant aucune reconnaissance. Elle m'importait bien peu. Je n'étais que candeur, optimisme et altruisme. Comme toi aujourd'hui. Je n'existais que pour les élever, à l'image d'un parent qui sacrifierait sa propre conscience pour celle de son enfant.
                       En retour j'attendais une chose unique de leur part. Jamais, ils n'ont su me l'offrir.
Je ne demandais ni or ni idôle à mon effigie. Ils sont d'affreux artistes de toute manière, et le peu qu'ils maîtrisent, ils le doivent intégralement à l'intervention de notre frère Haraël.
Un parent œuvre des années dans le seul but de rendre sa progéniture indépendante et responsable. C'est ce que j'ai fais pendant plusieurs millénaires.

                       J'étais patient avec eux et je leur ai même accordé un temps et une attention que de toute évidence, ils ne méritent pas. Tu te complets aujourd'hui à t'abaisser à leur niveau, à tenter de les comprendre, mais la vérité, c'est que jamais tu ne les comprendras Lahhel. Leur entendement est chaotique, illogique et hasardeux. Ils t'aimeront et te détesteront dans la même journée, pour un mot ou un geste qui les dépassera. Tu en as même peut-être déjà fait l'expérience.


                       Les quelques uns clamant avoir des convictions les abandonneront dès lors que leur propre intérêt sera mis en jeu. Même en ne t'attendant à rien de leur part, ils te décevront. C'est là l'unique certitude à leur sujet. Ils te trahiront comme ils se trahissent en permanence. Ta passion pour leur race est louable, mais elle n'aura qu'un temps. Ils te blesseront comme ils m'ont blessé. Leur négligence n'a eut cesse de balayer mes enseignements avec la même désinvolture que la brise qui détruit un château de cartes.


                       Pourtant, la mission que m'a accordé Asmar ne souffre d'aucune condition. Ma propre foi en eux n'intervient pas.


                       La vérité, c'est qu'ils m'ont lassé, Lahhel. Ils n'écoutent pas, ils ne mesurent pas ce qu'ils font. C'est le genre de chose que l'on accepte d'un enfant, sachant qu'en grandissant, il comprendra et appliquera ce qu'il a entendu. Le problème de l'espèce humaine, c'est qu'elle n'a jamais grandi et de grandira jamais. Elle ne fera que mépriser éternellement l'intervention de créatures qui lui sont supérieures, parce que sa fierté n'est rien d'autre que de la stupidité poussée à son paroxysme.
Ce que je leur demandais, c'était d'évoluer réellement. Je leur demandais de veiller sur les plus faibles, et d'utiliser leurs pouvoirs respectifs pour créer ensemble quelque chose de grand et de magnifique pour lequel ils ont déjà choisis le terme « d'Humanité ». Malheureusement, ils sont resté à l'état de clans rivaux, ne s'alliant occasionnellement dans le seul but d'en écraser d'autre.


                       Je n'aurais de cesse de poursuivre cet objectif que le Grand Dragon m'a un jour confié. Si c'est la paix qu'il veut entre les Hommes, c'est la Paix qu'il aura. Mais s'ils n'ont pas su apprécier ma bienveillance, alors peut-être apprendront-il à craindre mon intransigeance.


                       La purification de leur race, c'est la seule option qu'ils me laissent. Je sais que cela ne plaira pas à Asmar… mais je crains qu'il n'ait à faire face à son propre échec, comme nous le faisons depuis des siècles.  C'est une faute qui n'incombe à personne, et certainement pas à nous. Je sais bien qu'Asmar ne se résoudra jamais à gommer ce brouillon, et qu'il sera furieux de me voir le faire.  C'est pour cette raison, mon frère, que je ne veux pas que tu sois dans les parages quand ça se produira. Tu n'auras pas à payer les conséquences de mes actes, je te le promet.


                       Asmar m'a demandé la Paix entre eux, pas leur prolifération. Il m'a conféré le rôle de feu qui éclaire les Hommes. Je serai l'étincelle qui enflammera ce bûcher purificateur. Et crois-moi que la Paix règnera lorsqu'il ne restera que les moins indignes d'entre eux. C'est pour leur bien, au fond. Mais comme toujours, ils refuseront de l'admettre car ils n'ont pas une vision d'ensemble de leur propre espèce.
Il comprendra peut-être son erreur et bâtira une entité meilleure et plus intelligente.


                       Je ne suis pas en colère parce que tu as abandonné notre Royaume, Lahhel. Je suis même extrêmement fier de toi. Nous sommes pareils, à des moments différents de nos existences. Comment te blâmer lorsque toi aussi, tu cherches à faire ce pourquoi tu as été créé ? Ton implication est tout à ton honneur, mais je te supplie de rentrer maintenant. Mon obstination à les soutenir m'a coûté ma place dans ma propre maison et je refuse de te voir subir la même chose. Tu as un rôle bien plus important à jouer dans notre Royaume que tu n'en as ici. Je me soucie de toi, mon frère. Tu n'as pas ta place ici, et je ne laisserai aucun d'entre eux te corrompre et t'engloutir dans leur perversité. Je te supplie de rentrer.
Si je suis en colère, c'est uniquement après eux. Eux, qui chercheront à tout te prendre comme ils m'ont tout prit."